Contemplations
Lecture musicale
Victor Hugo
UNE FORCE DE VIE
Il est fougueux, audacieux, révolté, accusateur... mais aussi, amoureux, passionné, émerveillé... ou encore, recueilli, absorbé, méditatif. Il est à la fois tout cela, à mes yeux. Oui, je parle bien de l’auteur des Contemplations, appelons-le Victor. Et c’est à dessein que j’utilise le temps présent pour le décrire, car cette présence jaillit de ses vers, de ses paroles, comme si sa voix nous atteignait, comme s’il avait écrit cela aujourd’hui, pour nous, pour chacun de nous.
Son grand sujet, c’est l’Homme. L’humain, dans son grand écart entre vertu et barbarie, l’humain face au mystère de notre univers. Il est troublant de constater à quel point les thèmes qui émanent de sa poésie font écho à notre temps mais aussi combien ils touchent à l’intemporel.
Victor est un amoureux passionné, il connaîtra beaucoup de femmes et en aimera certaines avec ferveur. Mais le poète est également en amour avec la Nature. Pour lui, animaux, plantes et planètes, sont animés. Et à travers toutes ces entités qu’il chérie, il trouve comme un lien avec ce mystère qui l’attire et qu’il nomme Dieu. Cet état contemplatif le fait se jeter à corps perdu dans le vide, dans l’infini, ou comme dans un torrent afin d’être emporté et pour en revenir afin d’en être le rapporteur. Par sa poésie, pour nous, il donne la parole à la Nature pour qu’elle témoigne, pour qu’elle chante sa vertu, sa sagesse. Une parole d’une extrême modernité.
Jusqu’à son dernier souffle, Victor ne cessera de questionner la condition humaine, s’adressant tantôt à ses lecteurs, tantôt au monde politique, quand ce n’est pas à Dieu lui-même, l’interpellant avec respect mais non sans véhémence, et lui criant Pourquoi ? Oui, pourquoi tant d’injustice ? tant de misère dans le monde des hommes ? Et tout en dénonçant la bassesse des grands, les abus, les inégalités, la cruauté, la médiocrité, le poète proclame la grandeur du petit. De tendance royaliste au début de sa vie, sa prise de conscience humaniste et sociale est impressionnante. Elle le fera s’engager politiquement pour défendre et revendiquer les droits des plus humbles, prenant résolument le parti de l’enfant, du pauvre, du délaissé, de l’humilié, du condamné. Il proclame haut et fort le droit pour tous à la dignité, à la liberté. Il va contre le vent, marchant obstinément, tombant et se relevant, trouvant sa force dans cet idéal qui le porte et l’anime. Car la grandeur n’est pas là où l’on croit, nous dit-il. Victor nous invite à assumer notre petitesse au sein de l’univers, à cette humilité qui est lumière, qui est chemin. Tel un berger tenant son fanal, il éclaire les âmes dans la nuit de nos aveuglements. Encore aujourd’hui, oui.
Parmi ses multiples combats, il y a aussi celui qui défend et revendique une langue dépoussiérée, désengluée de son formalisme, de sa tradition, une langue libérée. En cela aussi, Victor poursuit son combat pour plus de liberté, plus de vérité. Il est vaillant, provocateur, ironique, se traitant lui-même de terroriste, de révolutionnaire, de dévastateur du grand ABCD. Ce combat, nourri de désobéissance et de provocation fait de lui le précurseur d’une littérature moderne.
Mais Les Contemplations sont aussi l’œuvre d’un homme meurtri par la mort brutale de sa fille aînée, Léopoldine, et par un exil politique qui devra durer dix-neuf ans. C’est au cours de cette période qu’il écrit ce recueil de poèmes, qui est symboliquement divisé en deux grandes parties pour figurer la tragédie de la disparition. Les titres donnés à ces parties sont parlants, Autrefois et Aujourd’hui, l’avant et l’après Léopoldine.
Oui, ces vers sont ceux d’un homme en proie à la douleur. Néanmoins, même si Victor nous dit en préambule que ce livre est celui d’un mort, chacun de ses vers, chacun de se mots contiennent et expriment une inépuisable force de vie.
Patrick Auzet-Magri